Dokument Nr. 97
Le 20 janvier 1938
Monsignore Filippo Giobbe
243 Via Nazionale, Roma.
Révérendissime Seigneur,
Le 13 de ce mois a été reçu votre honorée lettre du 30 décembre, pour laquelle je vous remercie ainsi que pour les salutations de Domenico à qui j’ose vous prier de bien vouloir faire parvenir le pli ci-joint. Malgré mon grand désir, il m’a été impossible de lui écrire avant maintenant. Grand merci Monseigneur pour ce dérangement que je m’excuse de vous imposer.
Le 14 courant, Sante m’a remis dix séries pour lesquelles je vous dis toute ma reconnaissance en mon nom des malheureux qui bénéficient de votre sollicitude. Naturellement la discrétion interdit d’en faire connaître la source mais la gratitude n’est pas moindre pour cela.
Quant au 8 décembre, le jour même où vous me faisiez l’honneur de m’écrire, le comité exécutif de la casa fut mandé par le Mossoviet où on lui dit tout simplement ceci: „Vous n’avez pas de prêtre et vous n’en aurez pas. Que faites vous avec ce grand édifice? Vous feriez bien de nous signer un papier comme quoi vous rendez l’édifice au Mossoviet.“ !!! Le procédé est simple comme vous le constatez Monsigneur. Heureusement que malgré la peur et la terreur que règnent ici et partout ailleurs, le comité n’en fait rien.
J’essayai immédiatement d’alerter le Ministre de Lithuanie [Lituanie] qui malheureusement était parti en congé à l’étranger. Finalement je pus le voir le 13 et lui proposai le moyen suivant dans une dernière tentative de conserver ce lieu: Je le priai de faire une démarche auprès des autorités, sollicitant l’autorisation pour votre serviteur de dire au moins la messe de façon à ce que lui le Ministre et le personnel de sa Légation puissent continuer à pratiquer leur religion dans cet édifice. J’insistai pour que la demande soit présentée comme venant de lui-même et non de moi, ce à quoi du reste le Ministre souscrivit de tout cœur car il tient beaucoup à ce que cette casa reste ouverte. Je revis le Ministre fortuitement le 15 et il me dit alors que son entrevue avec Litvinov ou Potemkine devait avoir lieu le lendemain, dimanche 16 janvier. Je n’ai plus de nouvelles à ce sujet et me demande si cela est signe d’un refus. Naturellement j’ai prié le Ministre dans l’éventualité d’une réponse affirmative de m’obtenir une autorisation nominale et formelle écrite pour être à l’abri de toute supercherie malicieuse. Comme les choses se décident avec grande lenteur par ici, on peut toujours espérer. Incidemment le Ministre, lors de la conversation du 13 janvier, m’a confié qu’il n’avait pas abandonné tout espoir d’obtenir un chapelain pour sa Légation, avec autorisation de faire du ministère publique. Il ajouta que les pourparlers à ce sujet étaient déjà entamés à Kauvnas par son Ministère. Personnellement, je ne crois pas que cette chose soit accordée dans les circonstances actuelles. On peut toujours espérer.
Tout ce qui a pu être fait avec la discrétion et l’effacement nécessaire de votre serviteur, a été fait pour encourager la „dvatsatka“ à tenir ferme. Les assurances viennent d’être payées, la moitié de la somme ayant été versée par le trust de légumes occupant le sous-sol. Bientôt ce seront les impôts et le Ministre à qui j’en ai dit un mot, a dit qu’il espérait obtenir un secours.
Il faudra se débattre sérieusement car on sait positivement qu’une organisation veut s’emparer de cet édifice pour en faire un club!
Toutes les églises restées encore ouvertes au culte ici dans cette ville, viennent de recevoir une circulaire de l’administration des cultes demandant une copie et vérification de l’inventaire. Pour nous c’est déjà chose faite et tout est en ordre à St. Louis, où le dévouement d’une dame assisté [assistée] de sa fille, est responsable pour la bonne tenue de l’édifice.
Il n’en est pas de même pour le 8 déc. qui a reçu la même sommation. Par malheur tous les papiers légaux étaient aux mains, du curé. Lors de sa dernière arrestation, tout, absolument tout a été confisqué par le G.P.U. Rien qu’à ce seul point de vue, de grosses difficultés sont à carindre. Légalement on a le droit d’aller réclamer ces documents et je l’ai dit plusieurs fois aux intéressés. J’espère que leur courage sera à la hauteur de la situation.
Voici maintenant Monseigneur d’autres tristes nouvelles. Le 11 janvier j’ai appris le décès survenu aux prisons de Solowki de l’abbé Johannes B A U M T R O G. Tout ce que l’on sait est que le triste évènement s’est produit en mars 1937. La nouvelle m’a été communiquée par un paysan de la Volga qui lui l’a su par une lettre d’un beau-frère habitant Tiflis!
De même source j’apprends le décès à la prison de Mariupol (Crimée) de l’abbé Michael H A T Z E N B U L E R mort en octobre de 1937. Il était paralysé du côté droit et disait la messe avec un bras!
J’ai célébré ce matin même pour le repos de l’âme de l’abbé Baumtrog et le ferai sous peu pour l’autre abbé, deux martyrs.
Selon les nouvelles que je reçois par bribes des voyageurs arrivant de lointaines régions, il y aurait une concentration générale de prêtres surtout d’origine polonaise dans le Kasakstan et à Karaganda en particulier. On me signale de source absolument certaine la présence à cet endroit des abbés Kroushinsky, Bardidze, Klemtchinski, Dimoura (récement arrivé de Baku) Verbitsky (autrefois à Voronezh) et finalement Tratchinski aussi de Voronezh.
Les conditions de leur incarcération sont épouvantables à entendre. La faim et la nudité sont générales. L’interdiction de correspondre est sévèrement surveillée, aucune correspondance, aucuns paquets. L’abbé Vardidze (Emmanuel Pavlovitch) était autrefois à Tiflis, ce qui porte à croire que les arrestations si nombreuses et conclusives de l’été dernier se sont faites ressentir jusqu’au Caucase où le 22 août exactement, on me signalait l’activité encore existante à cette date d’une dizaine de prêtres catholiques. L’impossibilité des communications sures et régulières nous empêche de nous renseigner avec précision.
Au point de vue diplomatique, une véritable bombe vient d’éclater il y a quelques jours, par où le gouvernement soviétique vient de notifier les gouvernements de Grande Bretagne, Suéde [Suède], Létonie [L’Etonie], Iran et Turkie que tous leurs consulats à l’exception de ceux de Moscou, doivent être fermés dans un délai de deux mois! L’Angleterre a un consulat général à Léningrad de grande importance; la Suède et la Léttonie également ont des établissements de ce genre. Les Turcs et les Persans à eux deux en ont une dizaine répartis un peu partout. Tous doivent fermer pour les deux mois à venir. Naturellement cela a jeté l’émoi dans le corps diplomatique. La vague de xénophobie comme vous le voyez n’a pas fini de déferler sur ce pays. Je me permets de signaler le Moscow Daily News du 18 janvier ainsi que les autres journaux soviétiques où un discours de Jdanov [Ždanov] prononcé à la session parlementaire, jette un peu de lumière sur cette décision. Les Soviets demandent ces fermetures sur la base de parité mais tous ces messieurs sont d’accord pour dire que c’est un moyen outre pour restreindre encore davantage l’activité étrangère en U.R.S.S. Les Anglais considèrent la demande comme une grosse imprudence. Les Persans au contraire, disent-ils par-ce que cela dimunera l’activité communiste dans leur pays, où elle est très active alors que leurs propres consulats persans sont loin d’être débordés. Ne resteront à Léningrad vraisemblablement, qu’un consulat finlandais, un polonais (peut-être) et un norwégien. Le fait est que l’on ne sait trop rien de précis pour l’instant. Cependant l’ordre existe déjà et les Soviets en attendent l’exécution. Il est à noter que ces notifications officielles ont été communiquées aux pays respectifs longtemps avant l’explosion de Jdanov [Ždanov] au parlement.
Pour terminer je vous parle de ma pauvre personne rien que pour vous dire que les agneaux ici m’ont accordé trois mois de séjour en leur paradis i.e. jusqu’au 10 mars je crois. Dans tous les cas mon brave et excellent consul estime que ce n’est pas la peine de se déranger pour aller chercher mes documents à la section administrative des passeports. Tout ceci n’est pas très rassurant bien que mon ambassade soit prête à m’appuyer dans toute la mesure du possible.
Le relevé des dépenses est prêt Monsigneur mais je ne puis trouver le temps nécessaire pour le mettre au propre car je dois encore préparer les journaux et partir porter ceci chez Sante. La besogne ne manque certainement pas et je suis content de pouvoir faire mon petit possible, vous remerciant à nouveau pour vos bons encouragements. Je vous redis tout mon profond respect et mon filial attachement en Notre-Seigneur.
gez. Leopoldo